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  • Manon Douard

Ma séance photo avec mes grands-parents

Dernière mise à jour : 22 févr.

Salut toi,


Aujourd'hui j'ai envie de revenir sur une séance photo un peu particulière que j'ai faite il y a quelques semaines maintenant, et au cours de laquelle j'ai photographié mes grands-parents.



J'ai envie de t'expliquer un peu plus en détail le déroulé de cette drôle de séance, mais surtout de te dire pourquoi j'ai ressenti le besoin de le faire, et surtout pourquoi je pense que ça pourrait d'intéresser de le faire aussi, pour/avec tes grands-parents, tes parents, tes cousins, bref, les gens que tu aimes


Le contexte


Nous sommes après le premier confinement, et les rumeurs annoncent un second confinement imminent. Je suis installée en Meurthe-et-Moselle depuis plusieurs mois maintenant et comme ma famille, notamment mes grands-parents, sont tous en Loire-Atlantique, je ne les ai pas vus depuis le début de la pandémie. J'en arrive quand même à quasiment six mois sans les avoir vus, et avec le second confinement qui se dessine, ça n'est pas parti pour s'arranger.


Je lutte intérieurement avec moi-même, partagée entre l'idée d'aller voir mes grands-parents, tout en prenant le risque de les contaminer - le premier confinement a instillé une espèce de peur quasi permanente de les voir attraper le Covid - et ne pas y aller, et prendre le risque de ne pas les voir pendant longtemps. Mon tempérament anxieux me souffle également qu'ils sont à un âge avancé, que je ne sais pas combien de temps avec eux il me reste... Bref, je réussis à me faire peur toute seule : j'achète des billets de train et deux jours plus tard je suis chez eux pour une semaine.


Nota : malgré toutes les précautions que j'ai prises, et même si travaillant depuis chez moi je voyais peu de monde à ce moment-là, j'aurais bien sûr pu les contaminer, je ne suis donc clairement pas un exemple à suivre sur ce coup-là.


J'ai emmené mes appareils photo, parce que dans le cadre de ma spirale de la joie, j'ai réalisé que j'avais peu de photos récentes de mes grands-parents, et clairement aucune sans qu'ils soient en train de poser pour une quelconque photo de famille. Je me rends compte de l'absurdité abyssale que c'est d'avoir un disque dur rempli à craquer de photos de gens pour qui j'ai fait des mariages ou des séances photos, et rien, nada, des gens que j'aime. Je dis souvent en riant à mes mariés que le jour où je perds mes photos, je perds toute ma vie, mais je réalise que sur lesdites photos, il n'y a pas ceux qui comptent le plus. J'ai bien des vieilles photos souvenirs de Noël 2005, mais je n'ai jamais mis à profit mes propres compétences pour faire des photos jolies des gens que j'aime.


Me voilà donc à dire à mes grands-parents, de but en blanc : "Je voudrais faire une séance photo avec vous, comme ça si vous mourrez demain, bah j'aurai des photos."


Oui je l'ai dit comme ça, et oui, rétrospectivement, je t'accorde que la démarche n'est pas la plus subtile de ma carrière. Eux, ça ne les stresse pas plus que ça, ça les fait même rire - "Ma chérie, chaque fois que tu as peur qu'on meurt, on gagne un an !" - et ils acceptent tout de suite. Ils acceptent d'autant plus facilement qu'ils ne savent pas vraiment en quoi ça consiste, en fait, une séance photo "moderne", comme ils disent.


Le choc des cultures


Je t'en parlais un peu dans mon article sur l'histoire de la photographie de mariage : en photographie, comme dans tous les arts, on retrouve des effets de mode, d'autant plus prononcés maintenant que les réseaux sociaux contribuent bien sûr à les promouvoir.


Aujourd'hui, les reportages de mariage et les séances photos font la part belle aux clichés spontanés. L'objectif est presque devenu de poser le moins possible. La majorité des personnes que je photographie s'accordent pour dire qu'elles se préfèrent sur les photos "volées", quand elles ne regardent pas l'appareil et interagissent entre elles ou avec leur environnement. Du coup, cette manière d'interagir (ou de ne pas interagir, justement) avec l'appareil - ne pas le regarder, faire "comme si" il n'était pas là - est quelque chose d'assez acté pour ma génération, mais pas nécessairement pour celle de mes grands-parents.


Leurs photos de mariage, ce sont quelques clichés où ils posent devant un très grand et imposant meuble en bois massif débordant de fleurs, regard-caméra et pose neutre. Dans la même idée, une séance photo, c'est un studio, eux deux qui posent devant l'appareil, regard vers l'objectif, et quelqu'un qui leur donne des consignes successives. Quand je leur ai proposé de les photographier dans leur jardin un matin, ils n'ont pas vraiment visualisé ce que je voulais faire.



Mais je voulais faire quoi, du coup ?


Je voulais figer des attitudes que je les ai vus prendre dix fois, vingt fois, cent fois ; je voulais conserver des expressions qui me sont familières : ma grand-mère qui éclate de rire en se couvrant la bouche pour ne pas montrer ses dents, ou mon grand-père qui en fin de repas pose toujours son avant-bras sur la chaise d'à-côté pour prendre appui, tel un patron de bar qui prend sa pause entre deux services.



Non pas que je risque d'oublier ces moments-là, mais je n'ai pas la prétention de pouvoir restituer la foule de détails qui y sont associés : les pulls de mon grand-père, la fameuse nappe bleue et jaune sur laquelle on prend les repas depuis ma plus tendre enfance (je ne sais pas comment c'est chez toi, mais chez mes grands-parents, il n'y a qu'une seule nappe, et c'est celle-ci. Si un jour ils la changeaient, je crois que j'aurais besoin de plusieurs jours de deuil pour m'en remettre).



Le déroulé


J'ai donné quelques consignes de tenues : pas des couleurs trop vives, si possible des tons clairs, gris, blancs. Mon grand-père a un pull rouge que j'aime beaucoup : quand je lui propose de le mettre en lui disant que ça ira bien avec les couleurs du jardin en automne, il grommelle un peu, je ne suis pas sûr que ça rende bien, quelle drôle d'idée, je ne comprends pas ce que tu veux faire. Au final, sans rien me dire, il retrouve le fameux pull et le met quand même : joie.


Je les emmène ensuite dans le jardin. Ils sont un peu perdus, c'est normal, ils n'ont pas l'habitude de faire des séances photo, encore moins en extérieur. Je parle beaucoup - je parle déjà beaucoup en temps normal, c'est te dire à quel point, là, avec le stress, vraiment, je parle beaucoup - pour les mettre à l'aise, et je commence par les faire marcher. C'est quelque chose que je fais souvent en début de séance : je fais marcher les gens. Je trouve que ça permet de se décontracter un peu et de dédramatiser le côté un peu officiel d'une séance photo.



Pourquoi c'était compliqué


C'est la première fois que je décide de photographier des membres de ma famille de manière "officielle", c'est-à-dire en les prévenant à l'avance, en fixant un créneau, un lieu, des suggestions de tenues, en ayant mon harnais et mes appareils photo "comme si" il s'agissait d'une séance réalisée dans un cadre professionnel.


Inutile de te dire que je suis complètement flippée. J'ai peur de mal faire, de les mettre mal à l'aise, de ne pas être prise au sérieux - forcément, eux ne me connaissent pas "en tant que" photographe professionnelle - que ça ne marche pas, que comme je suis stressée bah je les stresse, que du coup tout le monde soit mal à l'aise, bref, que tout aille de travers.


Ma plus grande alliée durant cette séance se révèle être ma grand-mère. Comme quelques personnes que j'ai pu photographier, elle a cette qualité rare de n'en avoir strictement rien à faire de l'appareil photo. Son attitude et ses réactions sont exactement les mêmes que si l'appareil n'était pas là. Elle se prend au jeu et mène la séance : elle a envie d'essayer de danser, elle rit beaucoup, bref, elle s'amuse. Et entraîne dans son sillage mon grand-père initialement plus sceptique. A l'image de leur vie quotidienne en fait : elle a environ 18 idées à la minute, et mon grand-père cavale derrière en disant "Quand même Michou, calme-toi un peu".


Ce que je cherche


J'ai envie d'avoir des photos d'eux pour figer des attitudes ou des expressions que j'aime chez eux, et que je veux conserver. Comme ce sont mes grands-parents, c'est plus simple dans le sens où je sais exactement quelles expressions je cherche. Je sais comment ils se comportement l'un avec l'autre - comme un film de Pagnol, globalement, même accent, mêmes chamailleries incessantes - et ce que j'ai envie d'obtenir. C'est sans doute le seul avantage à photographier des gens que tu connais bien : tu sais ce que tu veux.



Comme je l'ai dis : le fait que ma grand-mère interagisse avec mon grand-père exactement comme elle le ferait si je n'avais pas l'appareil me facilite la tâche, car je n'ai as grand-chose à faire pour les guider. J'ai l'impression d'être devant un jukebox dans lequel j'ai mis une pièce : une fois qu'ils sont lancés, je n'ai presque plus à intervenir, si ce n'est pour leur dire "revenez par ici", "mettez vous l'un en face de l'autre" ou "marchez plutôt par là s'il vous plaît".


La petite-fille et la photographe te conseillent d'organiser ce genre de séance photo


L'avis de la petite-fille


Les photos que j'ai prises de mes grands-parents, c'est un peu une manière de figer des morceaux de mon enfance, et de les garder avec moi. Je les ai beaucoup vus quand j'étais enfant, j'ai une multitude de souvenirs avec eux, et conserver une trace concrète, physique, de leurs expressions et de leurs rires, c'était quelque chose de très important pour moi. Ce besoin est venu d'un coup, sans doute accentué par la pandémie, et c'est vite devenu une une idée fixe. Comme quand tu réalises d'un coup qu'il y a une trace sur un mur blanc, et que tu ne vois plus que ça dès que tu le regardes. Dès lors que l'idée m'est venue, elle s'est accompagnée d'un sentiment d'urgence assez lourd : il me faut des photos et je dois les faire maintenant, tout de suite. Ca a au moins eu le mérite de me faire réagir rapidement.


Maintenant que j'ai pu aller au bout de ce projet, je me rends compte d'à quel point c'était important pour moi de partager ce moment-là avec eux et d'avoir ces photos que j'adore aujourd'hui. L'expérience s'étant révélée très amusante et riche en photos que j'aime, je pense photographier mes parents prochainement.


Qu'il s'agisse d'amis d'enfance, de tes parents, de tes grands-parents, de tes oncles, tantes, cousins : pense à prendre le temps de faire des séances photo avec ceux que tu aimes. On a tendance à réserver les photos professionnelles pour les grands événements comme les mariages par exemple. C'est une erreur : les photographies sont des souvenirs précieux, on devrait en faire plus souvent.



L'avis de la photographe


En tant que photographe, c'était la première fois que je photographiais un "vieux couple". Mes grands-parents s'aiment (et se chamaillent) depuis 50 ans maintenant, et j'ai constaté en les photographiant que leurs attitudes l'un envers l'autre, leurs habitudes qui transparaissent à travers des gestes mille fois répétés, sont différentes en un sens de ce que je trouve chez des couples plus jeunes. Une sorte de tendresse née de l'habitude qui me touche beaucoup.


Évidemment, ce qui compte aussi, c'est le ressenti des personnes photographiées. Mes grands-parents ravis des photos : ils m'ont confirmé avoir passé un bon moment et s'être détendus. Ils se sont pris au jeu de la photo avec plaisir, et se sont retrouvés dans les photos. Ma grand-mère m'a dit "c'est tellement nous", ce qui est sans doute le plus beau compliment qu'on puisse recevoir en tant que photographe après ce genre de séance.


Conclusion


C'était une très belle expérience, paradoxalement très apaisante (paradoxalement parce que comme je te l'expliquais, dans ma tête à ce moment-là c'était un conseil de guerre, j'étais pas exactement dans l'optique de me détendre, si tu vois ce que je veux dire).


Au final, même si j'ai eu assez peur sur le coup, j'ai adoré l'expérience et je suis fière du rendu - j'ai plusieurs photos d'eux que j'adore. Je me suis dit que j'aimerais beaucoup réitérer l'exercice si j'en avais l'occasion.



Je partage cette séance avec toi parce que je trouve qu'aujourd'hui, sur les réseaux sociaux, on se met nous-mêmes en scène, on pense surtout à soi, et on oublie que l'un des intérêts de la photographie, c'est aussi de figer le visage et les expressions des gens que tu aimes. Qu'au-delà d'apparaître sous notre meilleur jour, il y a autour de nous tous ceux que l'on chérit et dont on n'a pas nécessairement de jolies photos. On a tous des vieux albums de famille (je suis particulièrement flattée sur les miens comme tu t'en doutes, j'avais évoqué dans un précédent article ma photogénie naturelle) mais pour ma part je n'avais jamais pensé à faire l'effort de réaliser des jolis clichés de mon entourage.

Et pourtant c'est génial.


DONC.


Offre une séance photo à tes grands-parents/parents/gens-que-tu-aimes, et n'attends pas de "grande occasion" pour le faire. Fais-le parce que tu as l'occasion ou juste parce que tu en as envie, et garde à l'esprit que tu n'es pas obligé de choisir un lieu particulier ou de partir loin : tu peux très bien faire venir le photographe dans ton jardin ou ta salle à manger, si tu as comme moi la fameuse nappe-qui-fait-partie-de-la-famille que tu veux immortaliser.


Avec toi, sans toi, dans un joli lieu, chez eux, chez toi, prends les gens que tu aimes en photo, ou fais-les photographier (appelle-moi, j'accourrai). Crois-moi : ça vaut le coup.


Tu peux me contacter si tu as des projets photo qui t'inspirent, et tu trouveras quelques uns de mes reportages de mariage sur mon site.


C'est tout pour aujourd'hui !


A plus tard,


Manon


Ps : j'ajoute cette note à cet article parce qu'il y a quelques mois, j'ai perdu mon autre grand-mère. Il ne nous restera pas beaucoup de photos récentes d'elle. Malgré tout, à la volée, un soir, j'ai fait un portrait d'elle en la prenant par surprise. Y'avait pas vraiment d'objectif à ce portrait, j'aime juste bien photographier ma famille. On a mesuré vraiment qu'à sa mort la joie que c'était d'avoir une photo de ses yeux bleus, dont on aurait certainement oublié la teinte exacte après quelques années. Tout cet article a été écrit dans l'idée très théorique que quand tu perds quelqu'un, les photos sont un héritage important. La version de moi qui a perdu sa grand-mère te le confirme.




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